Gynger
Février 2016
Irlande : mutilées à l’accouchement au nom du Saint-Esprit
Par Marianne Niosi
Pendant plus de quarante ans, des médecins irlandais ont sectionné le bassin de femmes enceintes pour éviter de leur faire une césarienne. Une pratique sous influence catholique aujourd’hui dénoncée avec vigueur par des dames âgées et déterminées.
Les circonstances de la naissance du premier enfant de Rita MacCann ont changé sa vie. Près de soixante ans plus tard, elle se souvient du moindre détail de l’opération. La douleur, l’angoisse et l’incompréhension. A l’âge de 31 ans, Rita MacCann a subi une section de la symphyse du bassin effectuée par un obstétricien de la réputée National Maternity Hospital de Dublin. Une opération tombée en désuétude partout ailleurs en Europe, mais ressuscitée en Irlande pour des raisons idéologiques. Entre 1944 et 1992, environ 1500 femmes auraient subi cette intervention, payant souvent toute leur vie le prix de cette chirurgie.
Le souvenir indélébile d’accouchements barbares
Au téléphone depuis la petite ville de Monaghan, dans le Nord de l’Irlande, l’octogénaire raconte son histoire sur un ton incrédule. « Je suis entrée à l’hôpital le 5 décembre 1957. Je devais avoir dépassé le terme, je ne sais plus trop. On m’a donné une injection pour déclencher le travail, mais ça n’a pas marché. J’ai donc attendu qu’il se passe quelque chose. Dix jours plus tard, j’ai ressenti une douleur, rien de bien important mais je m’en suis plainte… », explique-t-elle avec une pointe de regret. La suite relève du cauchemar. « On m’a amenée dans une salle d’accouchement. On m’a attaché les jambes dans des étriers. Un médecin s’est assis à côté de moi, bloquant ma vue. Un autre était debout devant moi. J’ai senti une injection, l’anesthésie, et la pression d’une incision. Et puis j’ai eu mal, mal dans tout mon corps. C’est indescriptible… Personne ne me disait rien. Quand on m’a recousue, je n’entendais pas un seul bruit. J’ai demandé : « Et le bébé? ». On m’a répondu qu’il ne naîtrait pas maintenant. J’étais dans un tel état que j’ai cru qu’il était mort. » Son fils naît enfin le 17 décembre, aux forceps, alors qu’elle dort, épuisée et sans doute assommée par les calmants. « On ne m’a jamais dit ce qui m’était arrivé ». Plus de quarante ans passeront avant qu’elle ne le comprenne.